Le choix de la pièce :
notes de mise en scène  et actualité de la pièce
 

NOTES DE MISE EN SCENE


par Jean-Louis SOL

 
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Le choix de 
MOI JE CROIS PAS !


         Peut-il exister un paradis sans mémoire ? "Je crois " ou "je crois pas" n'apportent, ni l'un ni l'autre, une réponse. Peu importe, qu'on y croit ou qu'on n'y croit pas, je ne peux imaginer un paradis sans mémoire; sinon quel serait son sens ?

         Sans mémoire: ni paradis, ni futur, ni même désespoir… Seul l'instant, sans liens ni avec les autres, ni avec l'espace, ni avec le temps…Une dissolution.

         La pièce de Jean-Claude Grumberg, je la vois comme une longue marche vers cette dissolution. LUI, il mène un dernier combat pour se construire un refuge par le déni de ce qui a fait sa vie. ELLE, elle s'accroche aux souvenirs pour exister encore.

      Pourquoi cette dernière confrontation ? Sans doute un désir d'exorcisme de part et d'autre. Mais leur rite ne s'appuie que sur du dérisoire; ce dérisoire c'est ,apparemment, tout ce qu'ils ont connu.

     Cette confrontation suscite le rire, grinçant évidemment. D'ailleurs, LUI et ELLE ont conservé l'humour. Et la pièce a une force comique dérangeante. Peut-être parce que le grand moteur de cette pièce, c'est la vieillesse et les maladies qui la guettent. L'angoisse qui nous étreint face aux démences séniles et devant le mot ALZHEiMER. La mise-en-scène doit particulièrement prendre en compte cette dimension, sans pathos et sans éluder la moindre possibilité de comique.

     Toutes les scènes commencent par " Moi, je crois pas.." . Le symptôme de la persévération est là. Redire, répéter, s'enfermer dans une même pratique. Encore une fois un rituel dérisoire. S'inventer petit à petit une pseudo réalité, peut-être pour éviter de s'apercevoir que des pans de sa mémoire disparaissent.  Développer une constante paranoïa, pour s'envelopper, s'enliser dans des rêveries , pour mieux échapper à un monde  qui lui échappe. De scène en scène, il semble important de montrer des évolutions.


        Chez MONSIEUR, des signes de désorientation et d'aphasie; des déambulations anarchiques; des objets qu'il triture, des recherches de mots; des hésitations dans la parole, dans les gestes et les déplacements…

    Chez MADAME, la fragilité et la soumission relatives feront place à la responsabilisation et l'affirmation de soi; pour que la première réplique soit enfin un "Moi je crois pas" énoncé par elle,il faut attendre l'avant dernière scène de véritable dialogue, celle où il y a la certitude de la maladie. La causticité changera de camp. Avant de commencer le travail sur le plateau, il sera nécessaire d'étudier, de manière plus approfondie, les symptômes que présentent les personnes atteintes et leur incidence sur les comportements de leur entourage.


        ELLE, Solange - ce prénom il ne le prononcera qu'une seule fois -,  reste en contact avec la vie sociale dès le début. Elle prend soin d'elle pour sortir. Elle entretient des relations sympathiques avec les voisins qu'elle visite dans l'immeuble; elle échange des recettes de cuisine, des petits plats; se tient au courant des changements de locataires.

         LUI, Henri, (près de sa retraite puis retraité ou/et  en retrait du monde extérieur, ) ne cesse de railler l'aspect dérisoire et inconsistant de ces va-et-vient sans intérêt, pour mieux la capter auprès de lui et fuir ces maigres bribes de vie qui lui échappent. Peu à peu, il s'enlise dans ce duo/duel dans lequel il la capture progressivement, physiquement et moralement, le temps se déroulant au rythme des émissions de la télévision, des émissions animalières pour remplacer le chien qui a disparu ou d' univers pour faire rêver et … dormir. Il sombre peu à peu vers ce pays sans mémoire et sans souvenir dont elle reste l'unique naufragée, sur un rivage déserté et désespéré. Peut-on croire encore à " la possibilité d'une île" ? .


         Pour le décor, une télévision, évidemment ( signes du monde extérieur, de réalités diffusées  à croire ou à refuser; un support d'évasion et de rupture…) et, sans doute, un décor minimal, un divan un peu "abstrait", comme une île.


    Finir sur une note d'espoir; il est dissous mais elle veille. Le seul souvenir qu'ELLE consent à oublier c'est ce que LUI ne voulait pas croire et qui le rendait étranger.



L'ACTUALITE DE LA PIECE AUJOURD’HUI:

Un phénomène de société

et un problème de santé publique


par Suzanne de MORLHON



          Un couple, une fin de vie et les jeux pernicieux de la mémoire.

         Que reste-t-il de nos amours ?  ....  Quelques complicités, beaucoup de rancoeurs et de rêves déçus, quelques flashes décalés sur des performances sexuelles supposées en d'autres temps avec des ratés spectaculaires et crépusculaires. ELLE s'invente une sexualité débordante en spéculant sur les organes d'hommes qu'elle a déjà quelque peu oubliés. LUI est déjà ailleurs.

         Où est la vérité ? Quelle est la part de notre imaginaire ? Ces deux êtres se sont aimés, il y a bien longtemps... Il reste quelques souvenirs en commun, mais projetés différemment au fin fond de leur mémoire et surtout d'abyssales frustrations: à l'abri d'un monde en décomposition où tous nos repères s'enlisent, où nos croyances sont menacées par de faux dieux à la mode, "yéti" ou autres, par les "nègres" qui écrivent les livres à succès de romanciers en vue dans les salons et émissions de télé "branchées".

            Ces décalages, dans la parole et le temps, nous font sourire et rire tant l'humour corrosif de Grumberg nous emporte allègrement avec ce couple, vestige pitoyable et touchant d'un monde en voie de disparition. Absurde et dérisoire, il capte notre attention et nous renvoie à notre propre miroir, avec un dialogue qui fait  mouche et qui permet de transcender le quotidien.


        C'est une vie qui s'égraine et se délite à la lumière des images de l'inamovible télévision, allumée quasi en permanence, seul ancrage à ce couple en déserrance; jusqu'à l'ultime errance, la perte de la mémoire qui achève la perte de l'identité.

           Et Charles Tordjman, le metteur en scène de la pièce au Théâtre du Rond Point,  d'extrapoler " C'est le portrait d'une France qui aurait perdu la mémoire... Une France aux fenêtres fermées.... une France en apesanteur."


    Ce texte, aussi poignant et percutant que les pubs anglaises au temps du SIDA, devrait provoquer un choc dans le public. Ce texte peut, en effet, être un magnifique support aux questions qu'on peut être amené à se poser:

* les seniors face à la maladie d'Alzheimer qui atteint ici "l'homme" et déstabilise le couple;

* les rapports au monde de la personne malade;

* les interrogations face à la sexualité, face aux souvenirs, face au monde;

* la structure familiale n'est-elle pas parfois sclérosante ?

* Quelles perspectives ?


        Il ne faut pas non plus perdre de vue que ce texte, corrosif et chargé de sens, est écrit pour faire rire et créer ainsi une distance avec la gravité du sujet.

Le public ne s'y trompe pas, qui accourt en masse pour voir ce spectacle. Qui ne se sent concerné, par un proche ou par ses propres angoisses, face à cette maladie, contre laquelle il n'existe toujours pas de remède.


        Le Professeur Emmanuel Hirsch, directeur de L'Espace Ethique des hôpitaux de Paris - APHP - qui coordonne l'organisation du plan Alzheimer au niveau national et reste très présent au plan international- suit de très près notre travail dans ce domaine et nous apporte son soutien.